Nicolas G Hayek at the Sorbonne
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Nicolas G. Hayek
Agir, innover, risquer: ce qui donne l’envie d’entreprendre.
Personne dans l’assemblée n’aurait pu penser qu’un multimilliardaire classé chaque année dans Forbes Magazine puisse être aussi atypique. Drôle, décontracté, avec son léger accent suisse, Nicolas Hayek, président du groupe horloger Swatch Group, a entamé cette séance marathon à 14h30 tapantes: «Je suis un fabriquant de montre alors j’ai l’habitude de commencer à l’heure», s’esclaffe-t-il. Le ton est donné, sérieux et détendu en même temps: un bonheur!
Le grand entrepreneur nous plonge d’emblée dans son histoire d’amour avec les montres. Il a toujours souhaité aller à contre-courant. Dans la fin des années 1970, alors qu’il dirigeait la société de conseil Hayek Engineering, le gouvernement suisse lui demande un rapport sur l’avenir de l’horlogerie nationale, malmenée par la concurrence japonaise. Pour expliciter son propos, Nicolas Hayek se lance dans le dessin d’un schéma, sous forme de gâteau d’anniversaire à trois étages, provoquant les rires de la salle. «Cette étude est très célèbre dans les universités de management américaines et européennes», se justifie le fringant octogénaire. Au début des années 1980, près d’un milliard de montres bracelets étaient fabriquées dans le monde (le gâteau). 950 millions d’exemplaires étaient vendus à moins de 100 francs suisses (la base), 42 millions entre 100 et 700 francs suisses (le premier étage), et 8 millions sans aucune limite de prix au-delà des 700 francs suisses (le dernier étage et la cerise sur le gâteau!). Les Suisses avaient une part de marché nulle sur la montre bas de gamme, accessible à toutes les marges de la population. Cependant, leur marché s’étendait à 98% sur le marché haut de gamme qui faisait travailler 20.000 personnes dans la Confédération. Il fallait donc trouver une stratégie. L’entrepreneur suisse a choisi d’attaquer dans les bas prix pour produire des montres à moins de 100 francs suisses car «aucune industrie ne peut exister si elle ne s’appuie pas sur la production de grande série».
Quatre priorités sont fixées: le produit, le produit, le produit et enfin, l’environnement du produit, énonce Nicolas Hayek, qui convainc que c’est ainsi que l’on pourra «combattre les Jap’!» Alors que le gouvernement suisse souhaitait justifier l’enterrement de l’horlogerie suisse et son incapacité à faire face à l’invasion japonaise, Nicolas Hayek a décidé d’agir: «Le problème ne venait pas des salaires trop élevés des horlogers mais d’un management trop complaisant et d’un manque d’esprit d’entreprise». La concurrence entre les Japonais et les Suisses se résume alors à une course permanente pour produire la montre la moins épaisse possible. Quatre, trois, puis deux millimètres… Des ingénieurs de Neuchâtel ont créé un bracelet-montre de 1,9 mm en fraisant le fond du boîtier afin d’y encastrer les pièces du mouvement. Une innovation qui a permis de créer un produit composé de 50 pièces au lieu des 150 initiales. Un ingénieur eut l’idée d’utiliser ce processus sur une montre de cinq millimètres: le projet de la Swatch fut inventé mais soigneusement gardé au fond d’un tiroir, le phénomène de mode étant de créer les montres les moins épaisses possible. «Je n’ai fait que lancer le processus, le pousser et le faire croître», explique Nicolas Hayek. La stratégie permettait de fabriquer des montres en grande série en divisant son coût de production par deux grâce à l’économie des pièces.
«Pour ce produit, il fallait une communication spéciale.» L’entrepreneur a souhaité agir au niveau de la communication en utilisant le message et non l’image pour promouvoir la Swatch. «Haute qualité, bas prix, provocation de la société. L’esprit du produit, l’esprit d’entreprise est important.» Agir aussi en misant sur la provocation marketing: «nous avons produit une montre de 140 mètres de hauteur que nous avons accrochée sur un building de Francfort». La provocation a marché, la Swatch était lancée.
En relançant l’horlogerie suisse dans la production bas de gamme, Nicolas Hayek a montré que l’industrie de base était essentielle au fonctionnement d’une entreprise. Cependant, le risque a semblé faire partie à part entière du parcours atypique de l’entrepreneur. «J’ai pris des risques toute ma vie, mais je ne saute pas d’un immeuble sans parachute sans me dire que je trouverai une solution a mi-chemin», confie l’industriel. Déjà inventeur du concept de la minivoiture Smart en 1998, Nicolas Hayek crée, en 2007, une nouvelle société, Belenos Clean Power, qui utilise le soleil comme principale source d’énergie. «L’énergie solaire peut couvrir 5.000 fois l’énergie quotidienne de la population mondiale.» Les recherches portent sur la mise au point d’une nouvelle pile à combustible et sur la production d’oxygène et d’hydrogène grâce au courant solaire.
Un étudiant lui reproche cependant la prise de risque non calculée que l’industriel a pris durant sa carrière: «Je suis comme un enfant qui traverse la route en courant sans regarder si un camion arrive», répond-il, dans une métaphore, puis il assène: «Tout entrepreneur doit prendre des risques pour innover. Nous sommes tous nés avec cette capacité d’imaginer, de créer en laissant aller son imagination. Mais la société tue cette fantaisie originelle qui est en nous.» L’entrepreneur crée des produits, des richesses, des postes de travail en surmontant des obstacles: «L’entrepreneur est un artiste.» Il réfute la domination de la finance sur ses actions et n’est pas intéressé par l’obtention d’un revenu immédiat. «Tout repose sur le plaisir d’entreprendre. Je n’ai jamais travaillé une seule heure, j’ai passé ma vie à m’amuser!»
Et pourquoi porte-t-il trois montres au poignet ? «Je dirige 19 usines productrices de montres et qui sont très jalouses si je ne représente pas leurs marques durant mes déplacements. Mais je n’ai jamais assez de place, alors j’ai trouvé une solution.» Sous les rires de l’amphithéâtre, l’entrepreneur entrouvre sa chemise et laissant apparaître quatre montres attachées en pendentif.
Agir, innover, risquer: Nicolas Hayek a mis en pratique, durant sa carrière, les différentes facettes de l’entrepreneur. L’octogénaire conclut cet échange avec une dernière anecdote: «J’ai eu mon certificat de hautes études technologiques mathématiques physique chimie en 1948 à l’université de Lyon, mais je n’ai jamais récupéré mon diplôme. Je l’ai demandé à 79 ans, et j’ai reçu tous les honneurs lorsque je suis allé le récupérer alors qu’à l’époque, j’avais eu la mention “assez bien”!»