Nicolas G. Hayek devant les ambassadeurs suisses
Allocution tenue à Interlaken, le 24 août 2009
Madame la Conseillère Fédérale Micheline Calmy-Rey,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Lorsque Madame Micheline Calmy-Rey m’a demandé de vous parler ce soir au sujet des défis que la Suisse aura à affronter au cours du 21e siècle, tels que vus par un entrepreneur et un simple citoyen, j’ai avec plaisir accepté de préparer cet exposé de mes visions de notre avenir probable. Jusqu’à maintenant, la Suisse a joué un rôle important dans les relations internationales.
Dans le futur, ce rôle sera accru et la Suisse aura une mission et un mot à dire encore plus substantiels; si elle sait rester courageuse, efficace et utiliser son génie spécifique.
Quels sont ces défis supplémentaires et/ou nouveaux qui nous attendent au cours de ce siècle?
Le premier défi est la rapidité fulgurante, quasi instantanée et universelle avec laquelle se transmettent les informations ainsi que la gigantesque masse de ces informations, englobant tous les problèmes, les événements, les personnages, les développements, touchant tous les peuples de cette planète.
La population mondiale est en constante croissance (bientôt 7 milliards), elle rajeunit et se concentre maintenant d’avantage dans les pays du Nouveau Monde, avec une petite croissance aux USA due à l’immigration, une légère diminution en Europe et une légère augmentation en Suisse.
Les systèmes de communication futurs permettront à toutes les populations, même celles analphabètes, d’avoir une comparaison immédiate et même visuelle de nos niveaux de vie mutuels et de nos systèmes démocratiques des droits de l’Homme. Peu de dictatures qui existaient jusqu’ici peuvent se maintenir intégralement. Car la volonté des majorités est en route et rien ne pourra empêcher cette vague déferlante de démocratisation partielle de s’imposer en étapes successives sur l’ensemble de la planète. En effet, être informé est une force culturelle et plus la culture est développée, plus la démocratie avance.
Les systèmes politiques seront évidemment plus ou moins démocratiques comme aujourd’hui, mais des pays à dictature totalitaire à 100% ne seront plus concevables. Le rôle de la Suisse est important dans ce bouleversement. Elle sera un exemple de plus en plus recherché et elle se doit de se préparer à aider à consolider ce développement.
Le défi le plus dur, le plus fatidique, difficile à traiter et qui occupera intensément notre peuple et ses élites responsables sera l’Union Européenne.
Cette union est formée de puissances mondiales telles que l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, voire l’Italie, et d’autres nations très fortes et démocratiques, comme l’Autriche et certains pays nordiques, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, les Pays Bas, ainsi que d’autres nations qui deviennent, avec le temps, toujours plus efficaces et performantes.
Mais l’union de ces pays n’est pas du tout stabilisée et harmonisée, ni dans ses structures, ni dans ses stratégies, ni dans ses objectifs.
Au contraire, elle est en plein bouillonnement, à la recherche de son modèle final et de son futur. A quelle Union Européenne ferons-nous donc face au 21e siècle?
Je connais relativement bien l’Union Européenne et ce depuis ses débuts charbon-acier. En effet, j’ai travaillé, parfois étroitement, avec de nombreuses personnalités qui ont forgé l’Europe; notamment Jaques Delors, plusieurs responsables à Bruxelles qui ont suivi, dont Romano Prodi, le Chancelier Helmut Kohl et le Président allemand Walter Scheel, Franz Joseph Strauss, plusieurs ministres allemands et plusieurs premiers ministres français et Jacques Chirac.
D’ailleurs, le Chancelier Helmut Kohl et le Président Jacques Chirac, pour qui j’ai travaillé sur plusieurs problèmes comme conseiller ou Président de groupes stratégiques, m’ont l’un et l’autre rendu visite en privé en Suisse et ils ont aussi participé à la formidable aventure de la création de la voiture Smart. Quoi qu’il en soit, durant mes nombreuses rencontres avec toutes ces personnalités, j’ai vécu et entendu des dizaines de visions différentes de cette Union Européenne.
Je sais donc qu’il est déjà très téméraire d’essayer de prévoir le développement de l’Union Européenne jusqu’en 2050, plus loin est impossible. En effet, son évolution peut aller dans plusieurs directions.
Depuis l’intégration totale afin de créer une grande Confédération sur le modèle helvétique, jusqu’à la désintégration, tout-à-fait regrettable et indésirable, en passant par une Union à plusieurs vitesses. Une formation à grande vitesse constituée des pays créateurs, noyau dur, de l’Union, et une à vitesse plus lente pour les pays moins développés.
Tout d’abord, l’Union a rendu des mégas guerres mondiales impliquant la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne tout-à-fait impossibles, ce qui est un résultat absolument remarquable et éclatant pour la planète. Aujourd’hui elle est, entre autres, une communauté économique plus ou moins homogène.
Mais elle a besoin de consolidation et de réformes, d’un Euro étendu à la Grande-Bretagne et d’autres pays éligibles, d’une solution aux problèmes agricoles, de la résorption des taux de chômage les plus élevés, du développement des pays membres les moins riches et de l’harmonisation des niveaux de vie.
La politique étrangère, la défense, l’OTAN, les alliances unilatérales ou communes, en 1er lieu les relations avec les USA, l’alliance méditerranéenne, chère au Président Sarkozy, les relations avec la Russie, la Chine, l’Inde, les pays du monde islamique, ne sont pas du tout harmonisées, souvent absolument contradictoires et elles seront une source de conflits intérieurs réguliers, affaiblissant ainsi le message et l’influence de l’Europe.
L’expansion géographique démesurée de celle-ci multipliera les problèmes ethniques, la multitude des langues et cultures ainsi que la différence des niveaux de vie, seront aussi une source de conflits. Avant la fin de ce siècle, l’Europe deviendra quand même probablement la puissance mondiale économique n° 1 avant les USA, la Chine, le Japon, l’Inde, la Russie, le Brésil.
Les USA resteront vraisemblablement la puissance militaire n° 1.
La Suisse située au centre géographique de l’Europe, avec des institutions fortement démocratiques et un niveau de vie supérieur à tous, très attachée à ses voisins européens de même culture et langue, suivra avec passion cette évolution qui la touchera sérieusement à travers l’ouverture des flux de personnes et économiques.
L’attraction de cette Union sur des Suisses, certes minoritaires, attirés fortement par sa masse magnétique qui ne considèrent pas le modèle suisse comme un capital de grande valeur, à défendre coûte que coûte, conjuguée au désir toujours plus fort de plusieurs centres de décision importants de l’Union Européenne d’intégrer la Suisse, nous donnera du fil à retordre.
Il sera toujours plus difficile, malgré une majorité substantielle du peuple suisse qui se battra farouchement pour protéger et garder le modèle helvétique – dont nous parlerons plus tard – libre et intact de l’influence, toujours plus envahissante, de Bruxelles.
Les relations bilatérales et la bataille, voire le chantage et la menace psychologique sur les échanges économiques entre les deux modèles pour fixer lequel des deux partenaires souffrirait le plus d’une éventuelle rupture, sera un des cauchemars des prochaines années.
La Suisse arrivera à garder le système des bilatérales avec quelques compromis, mais elle défendra avec succès la plus grande partie de son message international.
Des blocs politiques et économiques toujours plus grands se créent déjà et continueront à transformer notre monde. Les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) auxquels il faut ajouter l’Iran, l’Indonésie, la Corée (éventuellement unifiée), sans oublier évidemment le Japon et même les USA, seront des concurrents industriels et économiques de plus en plus sérieux.
Plusieurs de ces pays chercheront à concentrer entre leurs mains les ressources naturelles afin d’alimenter la croissance de leurs industries, mais ils seront ou resteront aussi grands clients de notre industrie, de notre tourisme et même de notre économie financière.
Ils contribueront à une croissance de l’économie mondiale en utilisant, fort heureusement, toujours plus de ressources renouvelables. Nos relations avec ces pays sont excellentes même si nous critiquons clairement chez quelques-uns le manque de respect des droits de l’Homme et de structures démocratiques.
Avec la Chine par exemple, malgré des critiques ouvertes du système politique, tout de même en évolution, des relations chaleureuses existent de longue date entre les deux pays, à l’échelle des deux gouvernements suisse et chinois, ainsi également qu’au niveau de l’industrie.
Un exemple entre plusieurs d’ouverture de la Chine: durant les années septante, j’avais reçu de Pékin, un appel téléphonique de Fritz Leutwyler, alors Président de la Banque Nationale Suisse. Il appelait au nom d’une délégation suisse du Conseiller Fédéral Ernst Brugger et Paul Jolles et à la demande du gouvernement chinois, pour me prier de me rendre en Chine immédiatement. Nous devions les aider à planifier la modernisation de leurs industries sidérurgiques. Nous l’avons fait et les Chinois ne l’ont pas oublié, il s’en est alors suivi les Olympiades et le Peace Hotel à Shanghai, ainsi que la visite inoubliable en Suisse du Président chinois en mars 1999.
Au début, il était alors furieux, vous vous en souvenez certainement, puis le jour de son départ en visitant l’une de nos manufactures horlogères, il s’est montré tout à fait jovial et heureux.
Ruth Dreifuss, soucieuse du protocole et qu’il ne rate pas son avion, avait d’ailleurs eu du mal à lui faire quitter la manufacture (je souris encore en me rappelant Ruth Dreifuss et Flavio Cotti qui me demandaient de cesser de le passionner et de le mettre pratiquement poliment à la porte). Mais surtout, les Chinois n’ont pas oublié que la Suisse a été le premier pays à reconnaître la Chine populaire et à accréditer un Ambassadeur à Pékin. Avec tous les autres pays mentionnés, la Suisse possède le même genre de relations gouvernementales et économiques.
Quant à la menace militaire de ces blocs, si la terreur de la possibilité de guerres nucléaires a rendu impossible des guerres mondiales; par contre, des guerres locales, Irak-Afghanistan, Géorgie-Russie, et Israël-Gaza-Liban sont possibles, tant que l’arme atomique est encore réservée à un nombre limité de pays. La prolifération récente et inévitable de l’arme nucléaire en Inde, au Pakistan, en Israël, en Corée du Nord, peut-être prochainement en Iran ainsi que dans bien d’autres pays de moyenne puissance en Asie et en Amérique latine, voire en Afrique, rendra même ces conflits armés locaux toujours plus incalculables et capables de déclencher une catastrophe globale nucléaire suicidaire.
La bataille pacifique pour s’assurer les matières premières, l’énergie et plus tard l’eau, sera aussi un des problèmes de ce siècle. Mais ici, les chances de croissance pour tous sont encore très probables et la Suisse y participera certainement activement.
Au début du 21e siècle, le 11 septembre 2001, nous avons été témoins avec horreur d’attentats monstrueux, criminels et meurtriers, exécutés au cœur même des USA, à New York et à Washington D.C. Ce genre de terrorisme suicidaire sera le défi le plus mortel de la violence fanatique humaine, contre laquelle le monde doit se battre. Ce genre d’opération de guerre n’avait jamais été perpétré sur le territoire américain. Après ceci, nous savions que le monde ne serait plus jamais le même.
Inutile d’essayer d’endiguer le terrorisme uniquement par la force des armes.
A côté de cette défense, certes nécessaire, il faut faire tous les efforts pour détruire cette frustration des terroristes, prêts à mourir pour une cause que nous devons désarmer psychologiquement, par la négociation et la satisfaction des besoins, si ceux-ci sont légitimes, les plus urgents et visibles de ces populations. Défi spécifiquement posé ici à la Suisse qui se doit de réfléchir comment elle peut efficacement aider à désarmer les conflits et surtout à aider fortement dans la lutte contre le terrorisme, fléau toujours plus menaçant.
Les populations des pays qui se sentent opprimés et injustement traités par la communauté des grands pays internationaux, spécialement le Moyen-Orient islamique, seront dans les prochaines années moins suspicieuses des intentions de ces pays et auront des réactions moins violentes.
Car le problème de base, soit le conflit israélo-palestinien aura probablement été résolu avant ou vers le début du deuxième quart de ce siècle. Les réfugiés palestiniens auront été confortablement relocalisés dans un Etat palestinien et/ou partiellement ailleurs, avec des soutiens et des sommes considérables, tout-à-fait envisageables de la communauté internationale. Un Etat palestinien fiable et important sera établi, le statut de Jérusalem résolu, la sécurité d’Israël et des pays voisins garantie.
Ceci serait réalisable si la mentalité et les vertus politiques suisses étaient à la base des négociations. Ce qui devrait être d’ailleurs le cas, car aucun pays ou groupe de pays ne pourra résoudre ce problème pour une paix durable, d’une importance capitale pour la paix mondiale sans l’aide de la Suisse.
Elle pourrait ici proposer un plan d’action et coordonner le projet de négociation et de réalisation. Il serait sage, de tous les pays impliqués, y compris les USA, de l’écouter sérieusement. A toutes celles et ceux dans cette salle qui, avec raison, sont très sceptiques sur ce que je viens de stipuler, je répondrai que si quelqu’un m’avait dit, en 1943/44 qu’en 1960 la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les USA deviendraient des alliés… j’aurais aussi eu des doutes.
Mesdames, Messieurs, il faut savoir rêver en optimiste et aider à réaliser ce rêve, même si le conflit Israël-Palestine se compare mal à la guerre mondiale 39–45.
L’environnement et la destruction de notre vaisseau spatial, planète terre, n’est pas un défi nouveau, mais il est de plus en plus aigu.
Comme il est connu de chacun et qu’en Suisse nous sommes extrêmement bien placés avec des technologies de pointe, nous serons à même de contribuer à résoudre ce problème. Je peux vous garantir que dans les prochaines 15–20 années, nous aurons des énergies propres qui pourront résoudre la plupart des problèmes de l’environnement et contribueront à créer des ressources nouvelles et une croissance substantielle. Le reboisement des forêts détruites et autres problèmes resteront en partie à résoudre.
Comment discipliner la nouvelle économie des finances et assurer une croissance toujours positive sans les risques actuels est un grand défi.
Les gouvernements n’auront probablement pas réussi, prochainement, à contrôler la partie meurtrière de cette économie, qui génère une crise régulière tous les 8 à 10 ans. Le monde politique, même le gouvernement américain, semblent incapables de s’imposer afin de résoudre les problèmes de base.
Notre Banque Nationale suisse a su garder avec dignité sa crédibilité et le respect de tout l’establishment politique international, sans aucune exception, y compris les pays du G8. Elle donne un exemple de courage et d’éthique au monde financier et travaille activement avec innovation à aider à résoudre ces problèmes à long terme.
Il faut que nous tous nous l’aidions avec beaucoup d’engagement. Vers le deuxième quart de ce siècle, ces problèmes seront résolus.
Voilà les défis prévisibles les plus importants, il y en a d’autres… par exemple, comment contrôler la violence croissante d’une partie de notre jeunesse, les pandémies de virus momentanément invulnérables, et gérer les retombées de l’arrivée des Hommes sur la planète Mars… et bien d’autres…
Mais concentrons-nous ce soir sur les défis les plus probables, décisifs et parfois même angoissants pour notre planète.
Alors la Suisse, où se place-t-elle actuellement dans le contexte mondial du début du 21e siècle et comment se comportera-t-elle en face de tous ces défis?
Jusqu’à maintenant, il faut l’admettre, malgré les critiques injustes de certains politiciens, journaux et pays étrangers, en colère contre notre politique conséquente et courageuse, la Suisse s’est vraiment intelligemment comportée.
Ces dernières années, elle a combattu avec succès pour défendre son message en général, avec des résultats positifs pour tous.
En 2009, nous pouvons constater les faits suivants. Des accords bilatéraux bien négociés avec l’Union Européenne nous assurent un développement positif de nos relations politiques et économiques avec ce partenaire d’importance vitale.
Il est un fait qu’il n’existe aujourd’hui pratiquement aucun pays, aucune nation, qui nous considère comme ennemi... à part évidemment le ministre allemand des finances, qui n’est pas un pays et la famille Kadhafi, qui elle est un pays. Le fait que certains pays, critiqués à juste titre, soient réticents à nous combler de discours chaleureux est positif pour la Suisse.
En effet, accepter sans critique les erreurs de nos amis serait mortel pour le message helvétique.
En général, la Suisse est considérée Worldwide comme un sympathique et efficace membre de la Communauté mondiale. Elle n’est pas du tout isolée, comme certains Suisses le prétendent.
Malgré des problèmes sérieux et déplorables, la Suisse a su garder son message et son image positifs; même si l’un ou l’autre de nos citoyens a commis des actions criminelles; par exemple, la façon illégale que plusieurs banquiers de l’UBS ont cru bon d’adopter avec des citoyens américains (ou d’autres nations).
Ceci, nous le devons aux millions de Suisses, ici et dans le monde entier, qui respectent spontanément ce message.
Même si un sénateur américain a déclaré à la télévision «we cannot trust the Swiss», le monde continue, avec raison, à nous faire confiance, car nous le méritons.
Nous constatons aujourd’hui que très peu de pays – si ce n’est même aucun – ne sont capables par leur réputation, leur histoire, leur organisation et leur stabilité politique de remplacer la Suisse dans sa crédibilité et son efficacité tous azimuts, son mépris de la puissance et de la violence, sa justice et sa neutralité.
Ainsi, nous pouvons représenter la Géorgie en Russie, la Russie en Géorgie, l’Amérique en Iran et vice-versa, ainsi que bien d’autres pays en conflit.
Par contre, le fait que la Suisse n’ait pas été invitée au sommet du G8 – voire même du G20 – correspond d’un côté tout-à-fait à notre message, tel que nous le verrons plus tard.
D’un autre côté, ceci est aussi une réaction momentanée aux problèmes d’illégalité révoltants, occasionnés et reconnus, par quelques banquiers suisses, soupçonnés par certains gouvernements importants du G8 de constituer pratiquement la Suisse entière et/ou d’être protégés à 100% par le gouvernement suisse. Nous devons vigoureusement prouver que ce soupçon est faux.
Car dans ce cas, la Suisse entière était à tort considérée comme un des accusés contre qui ce sommet voulait aussi agir.
Etait-ce pour amortir la colère des peuples contre les financiers de Wallstreet et de Londres et leurs gouvernements responsables principaux de la crise des Subprime?
Mesdames, Messieurs, la Suisse, comme tous les pays et les sociétés, possède un message, voire un groupe de messages, et non seulement une image.
Le message est dynamique, l’image statique. Lors d’une conférence que je faisais à l’Université de Harvard, il y a quelques années, un des professeurs m’a demandé de préciser cette différence et je l’ai fait avec un exemple.
Si quelqu’un dans la salle voulait aussi une explication de ce statement, je serais prêt au cours de notre discussion à le citer. La Suisse, et son peuple ont un message merveilleux, à la fois multiple et unique, amélioré et perpétué à travers le temps.
Ce message, nous nous devons de le défendre coûte que coûte. Le voici.
Notre société méprise farouchement la puissance physique et la violence. C’est une société qui aime par-dessus tout la paix et qui est complètement opposée à toute violence.
On y tolère même mal, par exemple, la concentration d’une trop grande puissance ou d’un pouvoir politique entre les mains d’une seule personne ou d’un seul parti.
La liberté individuelle pour chacun est gravée dans l’âme suisse depuis les origines du pays au 18e siècle, bien avant que la Révolution française ne la mette au premier plan. La liberté individuelle du citoyen est souvent plus importante que celle de l’Etat. Pour être plus clair: l’Etat doit être au service du citoyen et non le citoyen au service de l’Etat.
La liberté fait partie intégrante des principes les plus chers aux Suisses. Ce n’est pas un hasard si Voltaire et bien d’autres, avant la révolution française, ont cherché refuge ici, pour pouvoir écrire et parler librement.
C’est sans doute la base de sa vieille tradition de terre d’asile politique et financier (notamment le secret bancaire), un droit auquel beaucoup de Suisses tiennent tant.
Le droit de vote démocratique pour toutes les décisions importantes est également un droit auquel les Suisses tiennent et en font régulièrement usage.
Il ne faut pas oublier non plus que la Croix-Rouge est une création typiquement suisse d’Henri Dunant, et c’est à la neutralité et crédibilité universellement reconnues de notre pays qu’elle a dû son influence considérable. Plus encore: on reconnaît ici aussi que la Suisse est parfaitement pacifique et respecte les droits de tous les hommes avec justice et équité.
Je me permets aussi de vous rappeler que cette minuscule Suisse représente une puissance industrielle substantielle.
En effet, nous possédons plus de multinationales de l’économie réelle que la plupart des pays industriels et nous disposons de la monnaie la plus stable et forte au monde et ce depuis de longues années.
C’est aussi une puissance financière, appelée selon toute vraisemblance à le rester aussi dans un proche avenir, même si les lois sur le secret bancaire devaient être substantiellement modifiées ou en partie même de facto abolies.
Une monnaie forte, une stabilité politique, associées à un environnement neutre et profondément démocratique ainsi qu’une justice équitable consolideront l’image d’asile financier sûr dont jouit une Suisse qui possèdera une industrie financière honnête, respectant les vertus traditionnelles suisses, libérée de tout excès criminel et une bourse dirigée d’une façon plus axée sur l’entreprise.
Et ici, je défie toutes celles et ceux qui prétendent aujourd’hui que si nous perdions le secret bancaire à 100% (même avec les excès criminels qu’il peut impliquer), la Suisse et son économie entière en souffrirait fortement.
Nous ne connaissons pas exactement la valeur des dépôts criminels auprès de toutes nos banques et sociétés financières. Mais même dans les cas les plus massifs, l’influence négative sur nos revenus est limitée et surtout pourra être compensée, en un temps relativement court, par notre vitale économie, libérée de cette criminelle hypothèque.
Les membres du gouvernement suisse administrent habituellement l’argent public aussi efficacement que s’il s’agissait du leur. C’est pourquoi, les Suisses n’apprécient pas du tout les excès hypocrites des baillis et gouverneurs qui durant des siècles n’ont songé qu’à soutirer par la force des armes un maximum d’argent à leurs sujets, pour l’employer ensuite à des entreprises souvent contraires aux intérêts de ses citoyens. Je pense par exemple à la belle légende de Wilhelm Tell.
Dans les temps modernes, beaucoup trop d’exemples peuvent être cités, un parmi des centaines, ce sont les frais privés des députés et ministres anglais. Et c’est pourquoi une déclaration, disons «oubliée» est souvent considérée comme une illégalité relativement mineure, peu ayant soupçonné qu’il pouvait s’agir d’un grave délit, comme cela s’est produit récemment dans au moins une banque suisse.
La Suisse, ou du moins ses fonctionnaires, affirment toutefois que les fraudes fiscales imputables aux citoyens helvétiques sont, en pourcentage, les moins élevées de tous les pays industriels.
Tous les Suisses estiment bien sûr que toute fraude fiscale doit être punie. Toutefois la peine doit être cohérente et proportionnée au délit et ne pas être abusive et exagérée.
De plus, notre pays n’a jamais eu tendance à envahir des pays étrangers, ni en Afrique, ni en Asie, ni en Amérique du Sud ou ailleurs, pour y créer des colonies contrairement à de nombreux autres pays démocratiques.
Ce ne sont pas seulement la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, mais aussi la Hollande et la Belgique, entre autres, qui ont été des puissances coloniales et ont occupé des pays lointains pendant de longues années.
Les Suisses n’ont jamais jugé souhaitable de posséder des colonies, entre autres parce qu’ils ont un respect authentique pour l’intégrité et la souveraineté de chaque personne et de chaque communauté. C’est la raison pour laquelle la Suisse bénéficie partout dans le monde d’une image encore plus positive.
La Suisse fait aussi partie du très petit nombre de pays qui ont pu intégrer les minorités sans restriction, en leur laissant exactement les mêmes droits et les mêmes opportunités. Prenons par exemple le Tessin et voyons combien des Conseillers Fédéraux sont issus de ce canton; ce nombre vous étonnera.
Sans exagération, nous pourrions probablement affirmer qu’en Suisse les minorités ont à l’heure actuelle, souvent plus de droits que la majorité. Nous pouvons parler ici de discrimination positive.
Le gouvernement suisse est l’un des plus stables au monde. Pratiquement tous les partis politiques importants y collaborent et y sont représentés ce qui explique que la population suisse l’accepte volontiers et se considère solidaire avec son gouvernement.
Les membres du Gouvernement travaillent en fin de compte, malgré tout, de concert et même lorsqu’il y a beaucoup de conflits et d’approches divergentes, leurs capacités à trouver un accord, un compromis, est remarquable; c’est la fameuse concordance.
Cela ne marche pas toujours comme on le souhaiterait, mais on finit toujours par trouver une solution, qui fait consensus, bien que parfois à contrecœur. Les décisions du peuple sont respectées par tous, je le répète, par tous, y compris par le Conseiller Fédéral ou, comme c’était le cas, par le Président d’un pays voisin le plus suffisant ou arrogant.
Cette aptitude à trouver des compromis acceptables pour tous sans nous livrer de conflits internes sanglants ou violents est l’une des raisons fondamentales de la stabilité de notre système politique et social, notamment aussi dans les relations avec les syndicats ouvriers, avec lesquels l’industrie et l’économie ont conclu des accords permettant d’éviter les grèves, destructrices pour l’économie et gênantes pour la population.
C’est une expérience passionnante que de participer à des négociations dures, où les positions de départ sont à des lieues les unes des autres et pourtant, au bout de quelques semaines de discussions, tous sont plus ou moins heureux mais d’accord.
Cela nous permet de jouir d’un revenu par tête d’habitant plus important que dans tous les autres pays du monde et d’un niveau de vie élevé pour presque tous, ce qui crée des ponts entre tous les niveaux de la société suisse. D’ailleurs ces niveaux existent-ils?
C’est étonnant, mais il n’y a pas de prolétariat en Suisse, pas de grandes différences sociales entre les gens, quel que soit le niveau de nos revenus, nous nous sentons tous très égaux et nous nous considérons comme des membres à part entière de notre société.
Beaucoup de jeunes peuvent trouver cela ennuyeux, mais pour la stabilité et la santé de la nation, il est important de savoir qu’en définitive, il est inutile de recourir à la violence physique pour trouver une solution acceptable.
Les Suisses sont plus ouverts au reste du monde que la plupart des citoyens d’autres nations. En raison de leur éducation, de leur culture, de la petite taille de leur pays et également parce qu’ils possèdent un grand nombre de multinationales avec des ramifications dans le monde entier, une grande majorité voyagent régulièrement au loin et connaissent très bien le reste du monde.
Leur excellent comportement à l’étranger et leur professionnalisme de haute qualité leur valent un grand respect, de même que leur mentalité et la qualité de leur travail et de leurs produits.
Le message n’est, de loin, pas terminé, mais comme vous toutes et tous connaissez la Suisse parfaitement et pour raccourcir mon discours, je vais uniquement mentionner les têtes de chapitres importants, qui font encore partie de ce message.
- Formation professionnelle, système d’apprentissage unique, innombrables universités de classe mondiale.
Il y a une vingtaine d’années, un Premier Ministre français a voulu introduire notre très efficace système d’apprentissage chez eux, en me demandant mon aide. Mais il a ensuite été bloqué par le lobby tout puissant des fonctionnaires et il a abandonné. - Prix Nobel multiples
- Infrastructures modernes et solides
- Protection sociale et assurances très développées
- Centres de recherche très développés et innovants
- Propreté
- Beauté du paysage et de la nature, protection de l’environnement
- Sièges en Suisse de multiples organisations internationales dont les Nations Unies, le CIO, la FIFA, le CICR, le CERN et bien d’autres
- 1,6 millions d’étrangers vivent en Suisse, un des pourcentages les plus élevés au monde. 1 habitant sur 5 est étranger et ce pourcentage va à la hausse, sans oublier les milliers de frontaliers, attirés par la qualité et le niveau de vie, la sécurité
- Division du pouvoir entre Berne et les Cantons
- Nous avons aussi à côté de la garde suisse du Vatican, une vraie armée de défense efficace, courageuse, bien équipée et entraînée.
Nous autres Suisses, comme tous les êtres humains, avons de nombreux points faibles et d’innombrables défauts et bien sûr nous faisons des erreurs, nous ne sommes pas meilleurs que tous les autres…
C’est nos institutions, notre éducation et notre culture, ainsi que notre environnement qui font la différence.
Ce soir, je n’aurai heureusement pas le temps de m’élargir là-dessus et surtout ces défauts ne détruisent pas le message et l’image dynamique de la Suisse. On la considère quand même comme une véritable perle!
Alors quel sera le rôle de la Suisse dans l’avenir? Si nous revoyons les défis principaux mentionnés au début de cette analyse et tenons compte de la mentalité, des vertus, des avances technologiques et du message de la Suisse, nous sommes plutôt bien équipés et préparés à affronter ces défis.
Pour la solution de conflits possibles, prenons l’exemple très difficile qu’est le conflit israélo-arabe, la Suisse peut mener le débat parce que son attitude est perçue par les deux parties comme sans équivoque, critique, juste et neutre. Elle est capable de motiver les Diasporas internationales, non seulement celle toute puissante d’Israël, mais également celles influentes de quelques pays voisins, entre autres le Liban, à s’associer et à pousser ces négociations. Leurs influences et leurs ressources internationales pourraient faire la différence entre succès et échec.
Les Suisses sont capables d’approcher une solution solide à long terme, sans soumission d’aucun des adversaires. Mais pour cela, il faut mobiliser nos fortes personnalités suisses, géniales, pacifiquement combatives, pleine de fantaisie et d’idées nouvelles… un gigantesque engagement. L’enjeu, croyez-moi, en vaut la peine.
En conclusion, la Suisse défendra efficacement son message à l’avenir. Il ne faut pas nous laisser mettre sous pression en ayant une sacrée frayeur des puissants, quelquefois même des dictateurs de ce monde.
Quelques événements, passés et récents posent, à ce sujet, des énigmes aux citoyens suisses. Comme je l’ai moi-même vécu en 2004 suite à mon refus catégorique d’honorer un contrat d’une de mes usines de production de quartz, pour montres, téléphones portables et systèmes de pilotage électroniques.
Tout a commencé lorsque la guerre en Irak a éclaté. Le Conseil Fédéral, conformément à notre neutralité, a déclaré l’embargo sur les livraisons de pièces d’armement aux pays belligérants.
J’ai alors appris par un de nos responsables que nous avions un contrat de livraison avec une compagnie américaine, qui achetait également ces pièces chez nous afin de les utiliser pour le pilotage électronique des missiles intelligents Smart – missiles que les USA produisaient en grand nombre, tous équipés avec nos quartzs suisses.
Alors que Ruag livrait quand même ses composants d’avion parce que leur permis d’exportation était antérieur; moi, obéissant au Conseil Fédéral, j’ai donné l’ordre de stopper les livraisons, même si notre autorisation de livraison de la SECO était également antérieure. Cette décision a dû être communiquée sans délai aux Américains et nous avons su très vite que cela avait provoqué un tollé au Pentagone comme à l’ambassade américaine à Berne.
Lorsque la presse américaine a eu vent de la chose, la température est encore montée d’un cran.
Ma position de neutralité intransigeante n’a, parait-il, pas été très appréciée par l’Ambassade suisse à Washington. «Ce n’est pas le gouvernement suisse qui a défendu les livraisons mais Nicolas Hayek qui n’aime pas la guerre» rapportait un journaliste américain, citant l’ambassade suisse à Washington. Je sais que Madame Calmy-Rey a défendu la position de neutralité au Conseil Fédéral et ailleurs.
Mais, après plusieurs semaines très tendues, à cause de mon refus toujours ferme de livrer.
Les USA ont fini par garantir au gouvernement suisse, qui me l’a communiqué, que ces pièces ne seraient pas utilisées dans l’armement et j’ai autorisé la livraison, à la demande personnelle et urgente du Président de la Confédération, Joseph Deiss. Mais le jour même, j’ai annulé ce contrat avec Boeing.
L’administration Bush n’a, parait-il, pas trop appréciée cette action. L’administration Obama, par contre, respecte notre position.
Dans ma longue vie professionnelle, j’ai eu le privilège d’aider beaucoup de pays ou de gens puissants à résoudre des problèmes, par exemple financiers, structurels ou stratégiques.
C’est ainsi que je l’ai fait, il y a plus d’une vingtaine d’années, aussi pour le Sultan d’Oman, au début de son règne. Il m’a rencontré ici et nous avons visité ensemble le ministre de l’économie en Allemagne. J’ai même amené à Oman une délégation d’industriels européens avec ce ministre, Hennes Friedrichs, et son secrétaire d’Etat, rencontre durant laquelle nous avons signé des accords spéciaux.
Je travaille aussi constamment face-à-face (auf Augenhöhe comme on dit en Allemand) avec les familles royales, les cheiks et les rulers, de plusieurs pays, y compris ceux de la région du golfe et de l’Arabie Saoudite, et du reste du monde.
Ils nous reçoivent avec respect et envoient quelquefois leurs enfants en stage dans nos sociétés. C’est pour cela que j’essaie depuis quelques mois d’expliquer à certains de nos jeunes diplomates que ce n’est pas par arrogance que je refuse catégoriquement et constamment, les invitations pour les audiences de cinq minutes accordées par quelques Rulers. J’ai bien dit 5 minutes, soit 300 secondes! Audience qu’on me propose comme un cadeau spécial et personnel afin de développer, après 6 à 8 heures de vol, les relations économiques entre le Swatch Group ou Belenos et ce pays. Premièrement, elles ne servent à rien, si ce n’est à dire rapidement «bonjour, merci, au revoir».
Deuxièmement elles rabaissent à leurs yeux la valeur de mon pays, de ma compagnie et de moi-même, si j’accepte ce genre de non-sens, dans certains cas servile et dégradant pour nous.
Un autre exemple de message suisse faussé, pour lequel les Suisses demandent des explications, c’est dans l’affaire de l’aide présumée de nos diplomates à des banquiers suisses opérant illégalement en Espagne; ceci date maintenant d’une cinquantaine d’années, mais l’affaire refait surface.
D’après l’édition de mars 2009 d’un magazine suisse, en décembre 1958, nos diplomates en Espagne s’étaient fortement impliqués dans la négociation pour l’amnistie d’un important banquier suisse pincé par la police espagnole la main dans le sac. Lorsque des diplomates suisses s’engagent, c’est la Suisse entière qu’ils engagent avec eux.
Le Suisse moyen comprend et approuve que notre gouvernement défende, comme il l’a efficacement fait dernièrement, l’intégrité d’une nouvelle UBS honnête et propre, mais pas des directeurs et des dirigeants corrompus et criminels, responsables d’avoir abusé de la réputation suisse pour commettre des actions illégales et hautement destructives pour nous tous.
Nous sommes tous d’accord, chacun de vous j’en suis sûr également, qu’il n’est pas de votre responsabilité, Mesdames et Messieurs les diplomates de défendre des criminels suisses, même s’ils occupent des fonctions importantes de notre économie. Fort heureusement vous ne le faites pas.
Votre action globale est extrêmement positive, en grande majorité, pour notre message. Pour cela, je tiens, comme simple citoyen, à vous remercier ainsi qu’à remercier la Cheffe du Département des Affaires Etrangères, la Conseillère Fédérale, Micheline Calmy-Rey.